Les sorciers de l’île d’Orléans
La très pittoresque île d’Orléans, qui émerge du fleuve à quelques lieues de Québec, aurait été autrefois le pays favori des sorciers. Comment se forma cette légende? On ne peut que le présumer. Sans doute les habitants de l’île, pour vaquer à leurs occupations le soir, devaient se munir de lanternes. Les riverains de la terre ferme, au sud comme au nord, voyaient alors des points lumineux qui vagabondaient dans les ténèbres, mais nul ne pouvait dire que ces lumières étaient portées par des chrétiens. Les Orléanais faisaient aussi de grands feux sur la grève les nuits de pêche, et sur l’horizon s’apercevaient des ombres agrandies aux formes fantastiques. En fallait-il plus pour suggérer aux enfants, aux simples, aux loustics, que les feux follets, les sorciers, les noctambules fabuleux de toute espèce se donnaient rendez-vous en cet endroit?
Cette légende a été extraordinairement popularisée par M. de Gaspé dans les Anciens Canadiens. Voici comment il décrit une ronde des sorciers de l’île:
Un grand diable, n’ayant qu’un oeil, coiffé d’un tricorne surmonté d’un plumet énorme, battait la marche sur une marmite grosse comme un chaudron à sucre. À sa suite, il entraînait une légion de nains grimaçant, gambadant, dansant sur cette folle cadence.
Suivant José Dubé qui, nous dit l’auteur, racontait ce dont son père avait été témoin, la bande satanique ne mettait qu’une minute à faire le tour de l’île. Cependant ce train d’enfer n’empêchait pas les diablotins de chanter et leur ronde est restée inoubliable:
Les paroles de fleurs et de diamants
Une veuve avait deux filles. L’aînée était aussi désagréable que sa mère, tandis que la cadette était belle, douce et honnête. Cependant, la veuve aimait mieux son aînée et c’est à la cadette qu’elle confiait les plus durs travaux. Ainsi, elle l’envoyait deux fois le jour, puiser l’eau à une demi-lieue du logis.
Une fois que la malheureuse se trouvait à la fontaine, une pauvre femme lui demanda à boire. Charitablement la douce enfant lui présenta sa cruche et la bonne femme lui déclara que, dorénavant:
À chaque parole que vous direz, il sortira de votre bouche une fleur ou une pierre précieuse.
À son retour à la maison, la mère gronda sa cadette qui s’était attardée, mais en s’excusant, la jeune fille laissa échapper de sa bouche, deux roses, deux perles et deux diamants. Etonnée, la mère se fit expliquer ce miracle. Puis elle résolut d’envoyer son aînée à la fontaine le lendemain.
Mais, cette fille orgueilleuse se conduisit de telle façon que la vieille femme, qui était fée, la dota comme suit:
À chaque parole que vous direz, il sortira de votre bouche, un serpent ou un crapaud.
Ce que constatant, la mère entra en colère et voulut battre sa cadette. Celle-ci s’enfuit dans la forêt où elle rencontra le fils du roi. Le prince se fit raconter son aventure; il devint amoureux de la jeune fille et l’épousa.
Le prince de l’épée verte.
Un jeune homme et sa soeur vivaient pauvrement dans une forêt. Le jeune homme s’étant fait chasseur amassa une quantité de pelleteries qu’il troqua avec un géant magicien. Devenu riche, le jeune chasseur alla s’établir à la ville, prit le nom de prince de l’Épée verte s’amouracha de la soeur du roi et celui-ci de la soeur du prince. Mais à ce moment, une sorcière résolut de causer des ennuis aux deux parvenus. Durant le sommeil de la jeune fille, elle lui passa au cou une chaîne d’or qui métamorphosa la pauvre fille en poisson et l’obligea à vivre au fond de la mer. Quant à son frère le prince de l’Épée verte, il devint paralysé, ne pouvant ni bouger ni parler. Par une suite de maléfices, le prince immobilisé fut logé au bord de la mer. Chaque soir, sa soeur venait du fond des eaux pour l’embrasser et lui dire:
Si quelqu’un entendait ce que je vais te dire sans nous voir, il pourrait nous délivrer en coupant ma chaîne à cinq brasses sous l’eau au moyen d’un marteau et d’une tranche d’or massif.
Ces propos furent entendus par un passant qui raconta la chose au roi. Celui-ci procura les outils nécessaires et le passant coupa la terrible chaîne. Du coup, le prince de l’Épée verte et sa soeur revinrent comme avant.
Il y eut alors grande noce double. Le roi se maria à la soeur du prince et le prince épousa la soeur du roi.
La serviette magique.
Un roi avait trois fils qui, un jour, demandent à leur père de leur gréer chacun un bâtiment pour aller voir du pays. Le roi consent et les trois princes quittent leur père. Mais le plus jeune, Jean, étant descendu de son bâtiment pour explorer une île, son équipage l’abandonna sans arme et sans nourriture. Heureusement, une bonne fée lui procura une petite serviette en lui disant:
Quand tu voudras manger tu étendras ta serviette et tu diras: Par la vertu de ma serviette, je veux que le couvert se mette. pour une personne ou pour plusieurs, à ton choix.
Peu après, il rencontre un géant à qui il sert un repas plantureux. En retour, il reçoit un sabre qui coupe jusqu’à sept lieues. Puis il croise un autre géant qui, pour un repas, lui remet un cor duquel en soufflant, sort le nombre d’hommes dont on a besoin. Le prince arrive ensuite devant un château où une princesse est retenue prisonnière par une méchante fée. Jean tue la fée et délivre la princesse ainsi qu’une quantité de prétendants que la vilaine fée avait métamorphosée et parmi lesquels se trouvaient les deux frères du prince. Celui-ci trouve le moyen de ramener la princesse à son père et à ses deux soeurs et malgré la haine des prétendants, les trois frères finissent par épouser les trois filles du roi.
La complainte de Cadieu.
Cadieu était un voyageur-interprète marié à une Algonquine; il passait l’hiver à la chasse et l’été il faisait la traite de fourrures. Un jour du mois de mai, alors qu’il était cabané avec sa femme et d’autre familles au portage des Sept-Chutes, sur la rivière Ottawa, un jeune sauvage vint les avertir qu’un groupe d’Iroquois ennemis s’approchait. Aussitôt on décida de mettre les familles dans les canots et de sauter les rapides, tandis que Cadieu resterait pour empêcher les Iroquois de suivre les fugitifs. Ceux-ci franchirent les Sept-Chutes heureusement, car une Grande Dame Blanche qui voltigeait devant les canots leur montrait le chemin.
Quand au pauvre Cadieu, il réussit à retarder les Iroquois mais, traqué sans relâche, il mourut d’épuisement et on le trouva tenant dans ses mains une écorce de bouleau sur laquelle il avait écrit la complainte immortalisée.